Rêve d’amour, de Laurence Tardieu

Rêve d'amour par TardieuAlice, une jeune traductrice de 30 ans qui a perdu sa mère Blandine quand elle avait 5 ans, traque des souvenirs qui lui manquent tant, auprès d’un père silencieux, meurtri qui a fait disparaître toutes les traces, les photos et les toiles que peignait sa femme, laissant sa fille impuissante à habiller seule, jour après jour, le fantôme de sa mère, lui inventer un visage, une voix. C’est donc une fille pleine de questions sans réponses, perdue, blottie dans le ‘creux’ de cette absence, errant dans sa vie à la recherche d’une ombre.

Une langue précise, très proche du ressenti, pour évoquer le deuil. Comment faire le deuil d’une mère que l’on n’a pas connue, ou si peu ? Ce roman est délicat, émouvant, à la sensibilité parfois exacerbée.

Laurence Tardieu, Rêve d’amour, Stock, 2008, 9782234060456

Les séparées, de Kéthévane Davrichewy

Le 10 mai 1981, Alice et Cécile ont seize ans. Trente ans plus tard, celles qui depuis l’enfance ne se quittaient pas se sont perdues. Alice, installée dans un café, laisse vagabonder son esprit, tentant inlassablement au fil des souvenirs, de comprendre cette rupture amicale, que réactivent d’autres chagrins. Plongée dans un demi-coma, Cécile, elle, écrit dans sa tête des lettres imaginaires à Alice.Les séparées

Des portraits très subtils, deux vies entrecroisées, et puis le poison du doute, des secrets, de la jalousie… Une telle amitié peut-elle être brisée ? L’écriture est juste, les voix d’Alice et de Cécile se répondent, se heurtent. L’histoire de cette amitié est émouvante jusqu’à la dernière ligne.

Kéthévane Davrichewy, Les séparées, Sabine Wespieser, 2012, 9782848051062

La bascule du souffle, de Herta Muller

Nous sommes en Roumanie, en janvier 1945 : certaines personnes soupçonnées d’avoir soutenu l’Allemagne nazie risquent la La bascule du souffle par Müllerdéportation. Le jeune Léopold sait qu’il est sur la liste. II prépare sa petite valise, des affaires chaudes, quelques livres, puis, quand la police roumaine vient le chercher, à trois heures du matin, par moins quinze, il reçoit les mots de sa grand-mère  » Je sais que tu reviendras  » comme un viatique. L’usine de charbon, la tuilerie, la cimenterie, des baraquements élémentaires, une ration de pain et deux rations de soupe par jour, les diarrhées et les poux : tel sera le quotidien de Léopold pendant cinq ans.

Léopold passera au goulag cinq ans de sa vie, mais les séquelles psychologiques seront durables : à son retour, il restera un étranger parmi les siens. La vie du camp est décrite avec un grand réalisme;le froid : il y a une loi qui « vous interdit de pleurer quand on a trop de raisons de le faire. Je me persuadais que les larmes étaient dues au froid, et je me crus. »; la faim, surtout : « En guise de cerveau, on n’a plus dans la tête que l’écho de la faim ». Beaucoup d’images poétiques, de symboles forts dans ce roman bouleversant.

Herta Muller, La bascule du souffle, Gallimard, 2010, 9782070128839

No et moi, de Delphine de Vigan

No et moi par ViganLou Bertignac, adolescente surdouée et solitaire, vit à Paris dans une famille unie. Elle est en seconde quand elle se lie d’amitié avec une sans-abri du même âge qu’elle. Comment aider No à s’en sortir ? Lou se démène, consacre un exposé aux sans-abris et implique sa famille dans cette mission désespérée.

Lou, jeune fille à la fois naïve et lucide, nous prend par la main et nous emmène à la rencontre de No, jeune femme SDF, abimée par la rue. Subtilité, finesse, pertinence : sans sombrer dans le cliché, l’auteur réussit à nous émouvoir.

Delphine de Vigan, No et moi, Lattès, 2011, 9782253124801

Mother India, de Manil Suri

Mother India par Suri1955, en Inde. Mîra, jeune femme émancipée, doit épouser Dev, et se retrouve plongée dans une famille hindouiste et conservatrice. Un choc culturel qui attise l’amour qu’elle porte à son fils…

Dans ce roman, on découvre de l’intérieur l’histoire indienne. Mais ce qui fait sa force tient au caractère de son héroïne, une jeune femme rêvant d’émancipation et de liberté, mariée jeune pour une amourette. Déchirée entre les attentes de son père et celles de son mari qu’elle n’est plus sûre d’aimer, Mira cherche sa place. Il est dommage que la deuxième partie soit consacrée aux relations exclusives entre Mira et son fils… mais cela n’atténue pas la richesse de ce roman.

Manil Suri, Mother India, LGF, 2011, 9782253160205

L’Enquête, de Philippe Claudel

Chargé d’élucider les causes d’une vague de suicides dans une entreprise qui semble ressembler à toutes les autres, l’Enquêteur est investi d’une mission qu’il doit mener à terme comme il l’a toujours fait. Mais très vite des signes d’inquiétude s’emparent de lui. Que ce soit à son hôtel, où touristes bruyants et personnes en détresse se succèdent, ou dans l’entreprise où tous lui sont hostiles, il ne se sent pas à sa place. Est-il tombé dans un piège ? N’est-il pas lui-même la prochaine victime d’une machine infernale prête à le broyer comme les autres ? Cette enquête sera-t-elle sa dernière ?

Ni évidence ni logique dans ce roman : tout est absurde, kafkaïen, onirique. L’intrigue ne se déroule nulle part, et les personnages ne sont personne. L’Entreprise est une matrice qui englobe tout, la Ville, peut-être le monde aussi ? Ce conte fantastique nous livre un cauchemar déshumanisé où le lecteur entre par glissements, tout comme le narrateur, jusqu’à la chute vertigineuse… Voici un livre qui fait réfléchir, très différent des autres romans de Philippe Claudel.

Philippe Claudel, L’Enquête, Stock, 2010, 9782234065154

La femme de Gilles, de Madeleine Bourdouxhe

La femme de Gilles par BourdouxheElisa est la femme de Gilles. Elisa aime Gilles. Quand elle comprend qu’il s’est mis à en aimer une autre, elle ne peut que se taire, souffrir, attendre et espérer. Jusqu’à ce que ça se finisse.

Ce roman est beau, émouvant, frappant, touchant, candide ; c’est un grand roman. Elisa donne son amour avec une pudeur infinie, elle aime jusqu’à s’oublier elle-même, tout en dévouement et en dévotion. C’est un personnage magnifique, une héroïne tragique.

Madeleine Bourdouxhe, La femme de Gilles, Actes Sud, 2004, 2742751327

Une pièce montée, de Blandine Le Callet

Une pièce montée. de Blandine Le CalletUn mariage bourgeois, à la campagne. Tour à tour, un des personnages de la fête raconte une histoire qui prend place dans l’album de famille. De la demoiselle d’honneur confrontée à l’injustice au collègue dragueur invétéré, ou à la tante excentrique en quête d’amour, de la grand-mère indigne à la mariée au bord de la crise de nerfs, les personnages hauts en couleurs défilent à travers des scènes drôles, cocasses ou attendrissantes. On passe sans cesse du rire aux larmes. Les masques tombent et les secrets de famille éclatent.

Une pièce bien montée, caustique et acide. On passe d’un personnage à l’autre et dans ce mariage bien sous tout rapport, on découvre l’envers du décor, les pensées secrètes, les rancoeurs ravalées, les doutes mais aussi les tendresses non dits. Un bon moment de lecture.

Blandine Le Callet, Une pièce montée, LGF, 2010, 9782253119319

La maison assassinée, de Pierre Magnan

La maison assassinée. de Pierre MagnanQuelque part dans les Basses-Alpes, un soir d’orage du 28 septembre 1896, veille de la Saint-Michel. Trois hommes masqués attendent près d’une auberge appelée La Burlière. A l’aube, on découvre un drame épouvantable. Cinq personnes d’une même famille, les Monge ont été massacrées à l’arme blanche. Seul un bébé de trois semaines a échappé à la mort : Séraphin. Vingt-quatre ans plus tard, Séraphin Monge revient dans le village ; il veut retrouver les trois assassins…

Sombre, ténébreux, torturé, Séraphin Monge est un héros perdu. Troublé, il sème le trouble, et rien ne pourra l’apaiser que l’accomplissement de sa vengeance. L’intrigue policière confine à la tragédie dans ce roman noir. L’ambiance du petit village de Provence, au lendemain de la Première guerre mondiale, est très réaliste ; il s’en dégage quelque chose de lugubre et de pesant. Le récit est concis, lourd, tendu, la tension tient le lecteur jusqu’à la dernière page.

Pierre Magnan, La maison assassinée, Denoël, 1988, 9782207229767

Grâce et dénuement, d’Alice Ferney

Grâce et dénuement. de Alice FerneyUne famille de Gitans installée sur un terrain vague en banlieue parisienne rencontre une bibliothécaire animée par la passion des livres. Elle saura vaincre les réticences des adultes et surtout d’Angéline, la grand-mère analphabète, afin d’apprendre aux enfants le plaisir de lire.

On ne peut s’empêcher de penser au renard et au Petit Prince, en voyant cette bibliothécaire s’approcher toujours plus prêt du camp, pour lire des histoires aux enfants : dans sa voiture, puis sur le terrain vague, et puis dans une caravane… Ce sont des moments d’émerveillement précieux, hors du temps. La bibliothécaire remplit à la lettre son rôle de passeur, elle est une fenêtre dans un monde d’exclusion, de violence et de dénuement. Mais pas d’angélisme pour autant : cette histoire est celle d’une rencontre, une vraie, dans un monde cloisonné tel que le nôtre. L’écriture est vivante, touchante, toujours juste. C’est un vrai coup de coeur.

Alice Ferney, Grâce et dénuement, Flammarion, 2004, 9782080721976